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La prochaine conférence internationale de thérapie narrative et de travail communautaire va se tenir en août prochain à Kigali, capitale du Rwanda.
Aucun lieu n’est neutre et toute terre porte en elle les stigmates de son histoire, mais plus que toute autre, la terre que tu t’apprêtes à fouler mérite ton respect car il n’y a pas si longtemps, elle était gorgée du sang des innocentes victimes de l’histoire de folie et de haine qui a si souvent recruté les hommes dans ses filets. Comme tu le sais, en 1994, ce petit pays d’Afrique de l’Est a connu 100 jours d’atrocités qui se sont soldées par le massacre sauvage de près d’un million d’hommes, de femmes, d’enfants et de bébés. Sur les ruines de cette psychose collective, s’est érigée une admirable résilience, nourrie par des milliers d’initiatives généreuses et modestes, construite par le courage des rescapés et rescapées, regagnée pied à pied sur l’horreur et la folie. Le Rwanda a pansé ses blessures, c’est à présent, m’a-t-on dit, en train de devenir une destination touristique à la mode, mais ce serait une grave erreur d’y arriver en touriste.
Lors de ma première visite en 2011, j’étais invité par David Denborough et Cheryl White en tant que musicien narratif, à participer dans le cadre d’un groupe d’une vingtaine de praticiens et praticiennes narratifs de toutes nationalités, à une formation de « conseillers en trauma » à laquelle participaient Jill Freedman et son mari Gene Combs. Le Dulwich Centre intervient en effet régulièrement au Rwanda depuis de nombreuses années.
Tu sais, l’État français ne s’est pas très bien conduit lors du génocide des Tutsis, exfiltrant ses vieux clients génocidaires sous couvert de ce que l’on a appelé l’opération Turquoise. Notre langue, qui était très couramment parlée avant 1994 depuis la colonisation belge du début du XXe siècle, a été déconsidérée au profit de l’anglais, et bien sûr de la langue locale, le Kyniarwanda. Parler français au Rwanda, c’est une invitation à faire profil bas car les harmoniques de nos phrases font frissonner l’histoire. J’ai mis des mois à me remettre de ce voyage, je voulais te le dire. Je ne m’attendais pas à être aussi bouleversé, aussi transpercé, aussi déchiqueté par tant d’horreur juxtaposée à tant de dignité. Je me souviens qu’à l’issue de la visite du Mémorial du génocide, Cheryl avait prévu un temps long, dans le parc du Mémorial, afin que chacun puisse pleurer, enrager, méditer, se confronter à la violence de l’impact des photos, des vêtements souillés de sang, des crânes empilés dont certains n’étaient pas plus gros que le poing, zébrés par un trait de machette bien visible…
Cette conférence n’est pas seulement une conférence, c’est une invitation à revisiter notre humanité, y compris notre part de lâcheté et d’indifférence, à nous confronter à l’extrême cruauté entremêlée avec la plus puissante dignité. Ne te contente pas de venir rencontrer les plus grands praticiens narratifs du monde. Rencontre aussi l’humanité dans son expression la plus terrible et la plus sublime. Lis quelques livres avant de partir, Jean Hatzfeld, Scholastique Mukasonga, Romeo Dallaire, et « Petit pays » de Gaël Faye si tu n’en lis qu’un. Prévois du temps là-bas pour honorer les lieux du sang, marcher lentement dans les jardins et dans ces églises qui n’ont pas su protéger les faibles. Prévois du temps pour pleurer et méditer. Va vers nos collègues Rwandais et assieds-toi à leur table, laisse-toi irradier par l’incroyable beauté de leurs chants et de leurs regards. Attends-toi à être secoué. Mais il faut parfois des explosions tectoniques pour que le charbon se transforme en diamant. C’est cela aussi, que je voulais te dire…
PBS